Une Histoire de chatte

J'ai toujours trouvé à Céline un petit côté chatte. C'est le genre de fille, sensuelle et sombre, qui t'approche en ronronnant, ondule et te scrute d'un air séducteur, comme une invite muette, puis te griffe au moment où tu oses enfin la caresse. Elle te laisse croire qu'elle t'appartient, mais c'est elle qui te possède. L'apprivoiser, l'attraper et la perdre ont été trois épreuves dont je souffre encore les invisibles marques.

 

Vendeuse dans la boutique de fringues où mon frère est manager, elle m'est apparue comme une insoutenable évidence. Je suis revenu la voir le plus souvent possible – demandant chaque fois à m'entretenir avec son supérieur pour un prétexte quelconque. Sa façon de porter les vêtements de la célèbre ligne de street mode, avec classe et détachement, leur donnait l'impression d'avoir été dessinés à son image, et me rendait fou de désir. Aussi, je croyais fermement que quelque chose changerait mon existence, que la somme des échecs, des frustrations, des mensonges, des nuits trop longues et des jours trop durs, serait alors effacée de mon ardoise si j'arrivais à la conquérir. Après des semaines de traque, je l'ai eue dans mon lit, puis dans ma vie.

Céline porte des converses rouges, elle aime l'humour et le café bien noirs, son œil gauche est bleu et le droit vert. Une cicatrice lézarde une de ses paumes depuis la petite enfance, et elle angoisse à l'idée que cela ait pu modifier sa ligne de vie. Elle chante faux mais s'en fout. Pour elle, l'existence est une blague avec la mort pour chute. Elle jouit en tremblant, elle se souvient de ses rêves avec une précision de poétesse – quand elle me regardait dans les yeux, je me sentais nu et neuf.

Si je devais retenir un élément du tableau de notre idylle, ce serait cette astuce que nous avions inventée pour pimenter nos soirées entre potes. Lorsque Céline s'ennuyait, un clignement de l'œil gauche (le bleu) indiquait qu'il me fallait lui ouvrir une issue de secours ; un clignement de son œil vert signifiait une envie de sexe à satisfaire séance tenante. J'ai toujours préféré ses clignements droits.

Après une année de couple complice, charnelle, tendre et sans trop de tumultes, nous avons décidé d'emménager ensemble. Étant d'accord sur l'idée que ce nouveau lieu de vie commun devait symboliser le fruit de notre union, et non figurer l'association hybride et hasardeuse de nos deux univers respectifs, de mon ancien appartement je n'ai gardé qu'un mobilier modeste, ma collection de vinyles et un sens de l'ordre à toute épreuve. Céline, elle, n'a apporté qu'une seule chose : sa chatte. Iris est une siamoise trop silencieuse pour être honnête, dont je me suis toujours méfié, sans vraiment savoir pourquoi. Aujourd'hui, j'invoque la prémonition.

Je suis ce genre d'individu à la névrose bien aiguisée qui, une fois sorti de chez lui, trouve toujours une excuse assez valable pour faire demi-tour : porte du frigo mal refermée, lumière restée allumée, robinet qui fuit ou plaque de gaz ouverte. Un matin, Céline déjà au boulot, je conduisais depuis huit minutes exactement, direction le gymnase, l'esprit et le ventre aiguillonnés par le besoin d'aller vérifier si Iris n'était pas enfermée dans notre chambre. Cette chatte ne m'a jamais aimé, et je savais qu'elle pisserait si je l'y laissais seule. Le motif était maigre mais, une fois encore, je crois en la prémonition. Le fait est que, à cet instant précis, j'ai choisi de faire demi-tour pour m'éviter le désagrément potentiel d'une couette humide et puante.

Si Iris avait gerbé, pissé et chié sur chaque centimètre carré de notre lit, j'aurais été moins dégouté que face au spectacle qui m'attendait en vérité. Céline, à quatre pattes, baisée façon clébard, et Iris, lovée sur une pile de linges, qui me jauge. Qui-plus-est, l'identité du canidé mâle était une insulte en soi : pas le voisin d'en face, pas même mon meilleur ami, non, mais mon propre frère ainé. Cupidon est parfois cupide, et reprend tout ce qu'il a donné.

Je suis boxeur amateur. J'ai une frappe puissante mais j'encaisse mal, je me fatigue vite et un coup bien placé au foie peu suffire à me mettre à terre. Celui que j'ai reçu ce matin-là en plein cœur m'essouffle encore. Ma première réaction a été l'envie de m'excuser, de quitter la pièce et de refermer doucement la porte sur la scène et son existence. Mais lorsque mon grand-frère s'est retiré de ma copine, pour se retourner vers le frais cocu que j'étais devenu, avec son visage dégoulinant de sueur, le regard idiot et la queue bien dure (si semblable à la mienne), et encore moite, la rage s'est déclarée en moi. Je me suis jeté sur lui, le bras armé, aveugle et déterminé à détruire. C'est alors que Céline s'est interposée entre nous – l'une des premières leçons qu'on vous enseigne à la boxe, c'est de ne pas frapper pour toucher, mais passer au travers – et mon poing s'est écrasé sur son œil gauche.

J'ai toujours préféré le vert.

 

 

Camille Régnier

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